photo courtesy Stephen Kilvington • www.airliners.net
À l’occasion du dossier précédent, nous avions passé en revue quelques-uns des pays pratiquant l'achat en seconde main d'appareils de combats auprès de forces aériennes qui pour leur part déclassaient ces appareils. Pour ceux qui y recourent, outre l’aspect financier déjà présenté, les raisons sont variées :
• Il peut s'agir de récupérer des pièces détachées, les avions achetés étant pas ou peu destinés à voler.
• Faute de moyens pour acquérir un appareil plus récent ou pour attendre la disponibilité d'un appareil plus récent, cela peut permettre d'accroître un parc plus ancien en vue de prolonger la présence de cet appareil au sein d'une force aérienne, cela supposant que les exemplaires achetés possèdent encore un potentiel d’heures de vol suffisant.
• La dernière raison est simplement le renouvellement d'un parc réduit du fait d'une attrition élevée ou d’un conflit et qui demande des appareils remplissant les mêmes conditions que le point précédent, à savoir la capacité de pouvoir voler encore un certain temps.
Nous avions ainsi évoqué divers pays comme la Turquie, qui avait largement profité de la disponibilité du F-104, alors en cours de retrait des diverses forces aériennes de l'OTAN au profit du F-16 – qu'elle acquerra à son tour une fois ses F-104 à bout de potentiel.
Le marché de l’occasion conduit parfois les avions concernés à suivre des parcours pour le moins tourmentés, certains devenant de vrais globe-trotter.
Nous avions vu précédemment le cas des F/A-18 acquis d’occasion par l’Espagne, qui n’avait pas hésité à percevoir des avions de troisième main, ceux-ci ayant déjà eu une carrière opérationnelle au sein d'un groupe aérien embarqué sur porte-avions, puis toujours au sein de l’US Navy, comme appareil d'entraînement dévolu au DACT (Dissimilar Air Combat Training), dont la livrée témoignait encore au moment de leur mise en service au sein de l'Ejercito del Aire.
L’exemple du Mirage F1DDA QA62/U va encore plus loin.
Cet avion a été commandé par le Qatar via une contrat passé en 1980 et fut livré en mai 1983. Il arborait alors la livrée retenue, qui était du point de vue des couleurs, une transposition de la livrée anglaise appliquée précédemment sur leurs Hawker Hunter et déjà reprise sur leurs Alpha Jet. Ce n’est ni plus ni moins que la livrée « Desert » de la RAF établie en 1941 en Middle Stone, Dark Earth en extrados et Azure Blue en intrados, dont les couleurs sont disposées selon le schéma « catalogue » proposé par Dassault pour le Mirage F1.
En 1994, le Qatar souhaita s’équiper de Mirage 2000-5EDA/DDA et profita alors de l’opportunité espagnole pour revendre ses Mirage F1, moyen proposé par la France pour financer l’achat des Mirage 2000. En effet, l’Espagne est un gros client du Mirage F1 depuis le premier contrat signé en 1972. Au total, soixante-treize appareils furent acquis, ainsi répartis : quarante-cinq Mirage F1CE, vingt-deux Mirage F1EE et six Mirage F1BE.
Mais en 1993, l’Ejercito del Aire avait déjà perdu vingt-trois appareils dans divers accidents dont quatre collisions en vol.
Le Qatar disposait encore de onze Mirage F1EDA et deux Mirage F1DDA, le QA63/V biplace - ajouté à la commande initiale en 1989 - et donc le QA62/U. Leur rachat était un bon moyen de compenser l’attrition. Les exemplaires qataris furent livrés en deux tranches en 1994 et 1997, dans leur ancienne livrée et c’est ainsi qu’ils entrèrent en service dans leur nouvelle unité, l’Ala 11 : en livrée désertique, mais avec marquages et insignes d’unités espagnoles. [voir ici]
Le Mirage F1DDA QA62/U devint dans un premier temps le CE.14C-85/11-70.
Il est à noter que l’Espagne ne s’en tint pas aux seuls Mirage qataris pour lutter contre son attrition, puisque durant la même période, elle récupéra quatre mirage F1C de début de série - aux numéros inférieurs à 79 et donc dépourvus du détecteur d’alerte radar Thomson-CSF BF - et un biplace Mirage F1B.
Tant qu’il resta au sein de l’Ala 11, de 1995 à 1999, le Mirage F1 CE.14C-85 conserva sa livrée désertique et côtoya les autres livrées alors en vigueur au sein de la flotte de Mirage F1 espagnole. En effet, au travers de ces différentes acquisitions, l'Ejercito del Aire a vu ses Mirage F1 arborer pas moins de cinq livrées différentes.
• Des appareils du contrat initial, les Mirage F1CE et BE proposaient dans une disposition « catalogue », une livrée trois tons en extrados de vert foncé, sable et marron, rappelant la livrée Asia Minor, déjà présente sur leurs F-5A, pour des appareils basés en Espagne continentale et une version destinée à la défense aérienne. Les Mirage F1EE, basés aux îles Canaries, reprenaient quant à eux, la livrée bleue de défense aérienne française, alors que leur désignation E indique la présence d'un système de navigation et d'attaque (SNA) davantage multirôle.
• L'arrivée des Mirage F1 qataris introduisit donc une livrée désertique qu'ils conservèrent encore une fois mis en service au sein de l'Ala 11.
• Depuis la fin des années 1980, les Espagnols avaient commencé à unifier leurs propres livrées en appliquant une peinture grise intégrale avec toutefois le cône radar noir et une bande anti-reflet noire en avant du pare-brise et un faux cockpit noir sous le nez à l'aplomb bien évidemment du vrai. Elle fut d’abord appliquée aux Mirage F1CE dès 1988, puis sur les Mirage F1EE et BE à partir de 1993-1994. Toutefois, dans un premier temps, les marquages de servitude et d’unités restèrent en haute visibilité et les cocardes de grandes dimensions. Puis les mêmes marquages passèrent en gris basse visibilité et les cocardes furent réduites de taille.
• Reproduisant ce qui était arrivé avec les Mirage F1 qataris, la mise en service des appareils cédés par l'armée de l'Air en 1995, voit ces appareils conserver un temps leur livrée bleue française, courante par ailleurs avec les Mirage F1EE, mais inédite pour un biplace espagnol.
• La remise à niveau de la flotte de Mirage F1 initie une réduction du nombre d'appareils en service, tous regroupés au sein de l'Ala 14 et une nouvelle unification des livrées, concernant particulièrement les nouveaux arrivants, toujours intégralement grise où cette fois, si le faux cockpit est conservé, nez et zone anti-reflet noirs disparaissent.
Les Mirage F1 qataris ne furent pas concernés par le programme de remise à niveau et d’uniformisation de la flotte ibérique de Mirage F1 - l’Ejercito del Aire a abrité jusqu’à huit versions différentes du petit chasseur de Dassault - qui toucha cinquante-trois des Mirage F1CE, EE, BE parmi ceux présentant encore un bon potentiel de vol, auxquels se sont ajoutés le Mirage F1B ex-armée de l’Air et son collègue le Mirage F1C n°54/C.14-88/14-46.
L’appareil qui nous concerne ici, a donc toujours conservé ses caractéristiques de Mirage F1DDA : extérieurement, pas de nouveau détecteur d’alerte radar AN/ALR-300 en lieu et place du BF, pas de nouveau radio-altimètre sous le ventre, juste en avant des deux quilles, pas de nouvel IFF, ni d’antenne pour l’hybridation GPS sur l’arête dorsale, et pas d’ajout de lance-leurres AN/ALE-40 sur les flancs, juste au-dessus des quilles ventrales.
Toutefois, la base abritant l’unité étant fermée en 1999, l’ensemble des appareils restants est regroupé au sein de l’Ala 14. À cette occasion certains appareils ex-qataris se voient repeints avec la première version de la livrée grise intégrale - puis la seconde... - dont le Mirage F1DDA CE.14C-85, désormais immatriculé 14-74.
En 2002, une fois le programme de modernisation terminé, La flotte ibérique de Mirage F1 était passée des soixante-treize appareils initiaux au cinquante-trois exemplaires modernisés. Et les Mirage F1EDA/DDA furent retirés du service et stockés. À son tour, touché d’une certaine manière par l’attrition, la force aérienne jordanienne se montra intéressée par ces appareils disponibles : elle avait en effet commandé en son temps deux Mirage F1BJ, perdus tous les deux en 2003 et 2004. N'ayant pas fait - à l'inverse du Maroc, par exemple, jusqu'à il y a peu - le choix d'envoyer ses pilotes en France être formés par l'armée de l'Air et ses Mirage F1B, il fallait à la Jordanie un nouveau biplace. Le Mirage F1DDA ex-QA62/U, ex-CE.14C-85 lui est finalement vendu en 2006 devenant le numéro 118. Il semble désigné localement Mirage F1DJ, pour le différencier de la version précédente BJ, moins avancée.
Les rares photos du Mirage F1DJ 118 de la Royal Jordanian Air Force [voir 1, 2, 3] montrent que l’appareil a été cédé par l’Espagne dans sa livrée grise intégrale première version, avec nez et bande anti-reflet noirs, que la Jordanie lui a conservée, comme en atteste la présence de la croix de saint André au sommet du drapeau de dérive. Ce gris est aisément différenciable de la teinte bleu pâle d’extrados des Mirage F1CJ/BJ. Les marquages de servitude sont en basse visibilité, contrairement aux autres Mirage F1 jordaniens. Le texte est en anglais tandis que l’immatriculation est en numération arabe (que j’oppose ici à nos chiffres arabes). L’immatriculation est identique côté bâbord, à l’inverse de ce qui se fait par exemple en Iran avec un côté en numération arabe dans sa variante orientale et l’autre en chiffre arabe « occidentaux ».
La société Secamic, qui a participé à cette vente, met en avant sur son site diverses photos de ce seul 118, dont elle s'est chargée de la remise en condition au profit de la Jordanie. Elles montrent le côté bâbord de l'appareil. Une autre photo, à l'origine inconnue, visible sur le forum far-maroc illustre l'appareil côté tribord.
De nombreuses sources aussi bien Internet que papiers ont rapporté ou rapportent la cession des deux biplaces Mirage F1DDA à la Jordanie, devenant respectivement les numéros 118 et 119. C’est le cas notamment, pour les plus respectables d’entre elles du second volume sur le Mirage F1 de Lela Presse, ainsi que du Jane’s all the world’s aircraft numéro 31 de 2010 (source non vérifiée, citée dans « Cadre et cartographie de la diplomatie aérienne française », CESA, 2011 de Tony Morin, note 18 dans sa version électronique, absente de la version imprimée dans Penser les ailes françaises 27 de printemps 2012). Il est d’ailleurs curieux de noter que présentant « les ventes d’avions de combat par la France depuis 1991 », celle des Mirage F1DDA/DJ à la Jordanie y est présenté comme française, alors que les appareils appartenaient à l’Espagne. Et si cela devait marquer une quelconque intercession, pourquoi celle des Mirage F1 qataris à l’Espagne ou celle de ses propres Mirage F1, toujours à l’Espagne n’y apparaissent pas ? Pour Internet, et malgré les réserves à y appliquer, cette information se retrouve également sur la page Wikipedia de la Royal Jordanian Air Force.
Pourtant, une fois identifiés les deux appareils en Espagne respectivement CE.14C-85/14-74 et CE.14C-86/14-75, différentes photos prises entre 2006 et 2013 aisément accessibles sur Internet [voir ici] attestent que le second biplace CE.14C-86, d'abord stocké plein de poussière dans un hangar, a fini en extérieur, sa dérive déposée et portant encore la livrée désertique qatarie, son immatriculation – 14-75 – et sa cocarde espagnoles, autant d'éléments qui montrent que l'appareil n'a jamais quitté l'Espagne après 2002. Le CE.14C-85 est donc le seul Mirage F1DDA acquis par la Jordanie sous l'intitulé Mirage F1DJ et numéroté 118.
Il aura donc connu douze ans de service au Qatar, puis sept ans au sein de l’Ejercito del Aire avant de finir sa carrière - peut-on le penser - en Jordanie depuis 2006. Rares sont les avions de combat occidentaux modernes qui ont été au service de trois forces aériennes différentes.
À l'orée des années 1990, l’histoire rendit le principe plus fréquent à l’est : avec l’indépendance des ex-républiques de l’URSS, les appareils soviétiques changèrent de facto de propriétaires et de cocardes - parfois de livrée - sans avoir à bouger, avant, pour certains, d’être revendus. On pense tout de suite aux MiG-29 de la LSK/LV est-allemande, passés dans les mains des pilotes de la Luftwaffe de l'Allemagne réunifiée pour se retrouver finalement dans les mains des pilotes polonais... Ou de certains Fulcrum biélorusses ou moldaves qui ont finalement repris du service aussi bien en Algérie qu'en Erythrée.
Aujourd'hui, le procédé semble toutefois se répandre aussi à l'ouest - on l'a vu avec les F/A-18 finalement espagnols -, comme pourrait l'illustrer le récent exemple roumain. En voulant remplacer ses MiG-21 Lancer, la Roumanie a choisi d'acquérir des F-16 ex-portugais, dont une partie est déjà constituée d'appareils de seconde main tirés des rangs de l'US Air Force. Certains de ces derniers seront-ils du voyage ?