photo courtesy Stephen Kilvington • www.airliners.net

De l'origine des avions de combats...

... Par voie de sélection politique !
Il ne s'agit pas dans ce dossier de parler de ces pays qui refusèrent de choisir d'appartenir à l'un quelconque des deux camps qui se sont constitués au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Nous allons voir comment le choix du matériel militaire - aéronautique pour ce qui nous concerne ici - trouve sa justification dans les rapports de force entre ces deux grandes puissances.

Pour cela nous allons considérer trois pays qui sont autant de témoignages des changements survenus dans la géopolitique mondiale durant les trente dernières années.

• Le choix s'est porté d'abord sur l'archétype du pays non-aligné, l'Indonésie, qui accueillit la conférence de Bandung en 1955 (rappelons que face à l'OTAN, les Soviétiques étaient alors sur le point de créer le Pacte de Varsovie).

• Le second pays est la Pologne, un ancien membre important de ce Pacte de Varsovie qui depuis peu s'est rapproché du bloc occidental.

• Enfin en dernier lieu, nous considérerons le Venezuela, pays sud-américain lié de facto à l'hémisphère américain mais qui lui aussi prend de plus en plus ses distances.

D'autres pays auraient certes pu être pris en compte. Mais le choix de ces trois pays paraissait pertinent avec un pays non-aligné, un ancien satellite de l'URSS et enfin un pays du continent américain.

L'Indonésie

Si aujourd'hui, L'inventaire de l'arsenal aérien de l'Indonésie paraît comporter une majorité écrasante de matériel occidental et plus particulièrement américain, ce ne fut pas toujours le cas, notamment durant les années 60, quand le pouvoir était justement aux mains du parti communiste. On pouvait alors trouver des MiG, Iliouchine, Tupolev, Mil, etc.
Puis les Occidentaux reprirent la main après le renversement du régime communiste en 1965. Durant les années 1980, l'Indonésie a ainsi acheté des A-4 Skyhawk (à Israël), des F-5E/F et des F-16A/B et différentes versions du British Aerospace Hawk (Mk.53, 109 et 209).

BAe Hawk Mk 53
Tentara Nasional Indonesia - Angkatan Udara
General Dynamics F-16A Fighting Falcon
Tentara Nasional Indonesia - Angkatan Udara

Cependant, en 1997, une commande pour 24 Flanker est passée puis annulée en raison de la crise financière asiatique qui sévit en 1998. L'année suivante - 1999 - l'armée indonésienne intervient au Timor oriental après un référendum en faveur de l'indépendance de ce territoire. Le carnage ainsi perpétré entraîne la mise en place d'un embargo sur les armes par l'UE et les USA. Si la première le lève dès 2000, les seconds le maintiennent jusqu'en 2005. Dans l'intervalle, le manque de pièces détachées pour les Falcon et les Skyhawk les cloue largement au sol. En 2003, les Flanker sont de nouveau d'actualité et deux Su-27SK et deux Su-30MK sont commandés et livrés au SkU 15 d'Hasanuddin AFB.

su-27 indonésien Sukhoi Su-27SK
Tentara Nasional Indonesia - Angkatan Udara

Face à ce retournement du marché indonésien en faveur des Russes, les Américains ont, de leur côté, proposé la fourniture de F-16C block 52, qui intéressent la TNI-AU, mais cette dernière continue cependant de vouloir augmenter son parc de Flanker avec six nouveaux exemplaires (3 Su-27SKM et 3 Su-30MK2) commandés en 2007. Signe de cette nouvelle diversité, d'autres constructeurs sont en lice pour fournir des avions de combat à la TNI-AU, comme la Suède avec le Gripen, les Chinois avec les J-10 et JF-17. L'Indonésie s'est même récemment vu proposer l'achat de 10 Mirage 2000-5EDA qataris d'occasion…

Remarques sur les schémas de camouflage indonésiens

Comment peindre un avion indonésien est une question qui appelle quelques commentaires. Le territoire est largement tropical, recouvert de vastes forêts verdoyantes ; toutefois, ce pays est aussi largement maritime, constitué de plus de 17 000 îles entre Asie du Sud-est et Australie. Quelle logique peut-il donc conduire à peindre les appareils présentés ici dans des livrées tirant largement sur le gris ?
On pourrait tenter d’opposer les appareils d’attaque au sol ou d’appui-feu, censés opérer au-dessus des terres avec les intercepteurs purs, chargés d’une défense aérienne avancée davantage susceptible de se faire en altitude et au-dessus de l’océan Indien.
Aujourd’hui, F-16 et Su-27/30 arborent des livrées plus « d'altitude ». Au moment de leur livraison dans les années 1989-90, les Falcon étaient peints dans une livrée assez proche de celle des Skyhawk – destinés à l’attaque au sol… – avec deux tons de bleu et un ton de gris avant de revêtir l'actuelle livrée « Millénium » en 2000, en deux tons gris et bleu-vert. Les Flanker pour leur part sont en deux tons de gris, dans un schéma inspiré de celui du démonstrateur Su-27SMK. Les F-5E/F présentent également une livrée trois tons bleu clair, bleu foncé et gris qui serait alors dans l'esprit de ce rôle de défense aérienne.
Pourtant, cette distinction semble erronée. Parmi la large variété de BAe Hawk en service dans la TNI-AU, on constate que le Mk.53, appareil d’entraînement par excellence commença effectivement sa carrière peint en blanc avec des parements rouges puis reçut une livrée SEA avant d’être repeint dans une livrée similaire à celle des Flanker. Le Mk.109, destiné à l’appui-feu reçut la même livrée que le Mk.209, un monoplace d’interception : le schéma SEA. Les Skyhawk ont suivi le processus inverse, avec dans un premier temps une livrée classique SEA avant d'être repeints dans un schéma en deux tons de bleu et un ton de gris qu'ils ont donc partagé avec le Tiger II jusqu'à leur retrait en 2004.

La Pologne

Du fait de son rôle dans la profondeur stratégique de l'URSS, la Pologne revêtait une importance militaire primordiale. Son armée de l'air put ainsi compter sur des approvisionnements réguliers du meilleur matériel soviétique malgré cependant une certaine méfiance de l'URSS vis-à-vis du camp que choisirait ce pays en cas de conflit avec l'Occident... Elle reçut donc MiG-21 et 29 pour la chasse ou encore des Su-22 pour le bombardement et l'appui-feu. Au moment de la chute du mur de Berlin en novembre 1989, les MiG-29 commençaient à peine à être livrés : seuls 12 exemplaires (dont 3 biplaces) étaient parvenus en Pologne.

mig-29 polonais Mikoyan Gourevitch MiG-29 du 1. PLM 'Warszawa'
Polskie Wojska Lotnicze

Du fait de doctrines d'emploi trop différentes entre Est et Ouest et de moyens financiers insuffisants pour totalement réformer son armée selon les standard occidentaux, la Pologne chercha à augmenter son parc de MiG-29. D'autres pays satellites avaient également commencé à en recevoir avant la disparition du Pacte de Varsovie. Ainsi, la Tchécoslovaquie s'était rapidement scindée en deux et les nouvelles entités s'étaient partagées équitablement le parc de MiG-29 acquis. La nouvelle république tchèque les maintint en service jusqu'en 1995 avant de finalement céder ses 10 exemplaires à la Pologne.
Avec la chute du mur de Berlin, la nouvelle Allemagne avait mis la main sur les MiG-29 de l'ex-RDA, seuls appareils d'origine soviétique qu'elle intégra opérationnellement à la Luftwaffe jusqu'en 2002. Elle choisit alors de les céder symboliquement à la Pologne en 2003-2004. Ces appareils connaissaient donc leur troisième vie…

f-16 polonais Lockheed Martin F-16DJ Fighting Falcon
Siły Powietrzne Rzeczypospolitej Polskiej

Finalement au début des années 2000, la Pologne se tourna complètement vers l'Ouest en intégrant d'abord l'OTAN (1999) puis l'Union européenne (2004). Du fait de son intégration à l'OTAN, la réforme que l'armée polonaise n'avait pas initiée jusqu'alors, est lancée et lui permet de se fournir en appareils américains. Ce changement est matérialisé par l'acquisition de F-16CJ/DJ à partir de 2006. Le retournement pressenti à l'époque de l'URSS est définitivement consommé.

Remarques sur les schémas de camouflage polonais

Le Venezuela

Depuis la doctrine Monroe (elle date de 1823), le continent américain dans son ensemble est considéré par les Etats-Unis comme sa chasse gardée diplomatique - on comprend alors les remous de l'installation d'une tête de pont politique et militaire russe à Cuba au début des années 60. La « mainmise » américaine sur l'armée de l'air vénézuélienne ne date pourtant que de l'après Seconde Guerre mondiale et n'est que relative car les équipements proviennent aussi bien du Canada - même si le Canadair CF-5 est en fait du matériel américain produit sous licence, - que de la France avec le Mirage 5/50, pour ne parler que de la chasse. En 1983, le pays intègre le cercle des clients à l'exportation du F-16 qu'il habille d'une livrée plus propre à l'appui-feu qu'à la chasse pure.

f-16 venezuélien General Dynamics F-16A Halcón
Aviación Militar Venezolana

Preuve des bonnes relations avec les Etats-Unis, le pays développe avec son aide un programme nucléaire civil. Les changements surviennent au début des années 2000.
Hugo Chavez alors récemment élu, tente de redresser l'économie moribonde du Venezuela en nationalisant notamment les compagnies pétrolières. Une tentative de putsch échoue contre lui en 2002. Bien que les Etats-Unis ne semblent pas impliqués, ils reconnaissent aussitôt le nouveau gouvernement, ce que Chavez leur reproche certainement aujourd'hui et qui doit être partiellement à l'origine de son actuelle posture anti-américaine. Il se rapproche ainsi de Cuba et de la Russie, de retour sur le plan international après l'éclipse des années 90, et plus particulièrement en Amérique latine. Ainsi, pour ce qui nous concerne, et en raison d'un embargo américain notamment sur les pièces détachées pour son parc de F-16, l'armée de l'air vénézuélienne choisit d'acquérir pour la première fois du matériel russe : notamment des Su-30MK2 que pourrait venir accompagner une version encore plus récente, le Su-35.

Sukhoi Su-30MK2
Aviación Militar Venezolana
Sukhoi Su-30MK2
Aviación Militar Venezolana

Détail ironique : en réaction à l'embargo, Chavez avait menacé de se débarrasser de ces F-16 en les vendant pourquoi pas à l'Iran...

Remarques sur les schémas de camouflage vénézuéliens

De la même manière que pour l’Indonésie, les choix de la Aviación Militar Venezolana quant aux couleurs appliquées à l’extrados de leurs appareils de combats est intriguant.
F-16 et Su-30 sont largement dévolus au rôle d’intercepteur de par leur conception et leurs équipements – d'ailleurs la tentative par l'US Air Force de faire du F-16 un pur appareil de CAS se solda par un échec qui éclaircit sérieusement l'avenir du A-10. Pourtant les Halcón (faucon) vénézuéliens, comme remarqué plus haut, proposent un camouflage jungle qui indiquerait que leur fonction serait davantage l’attaque au sol ou le soutien aux troupes. Récemment acquis, les Flanker arborent une livrée en deux tons de gris et un ton de gris bleu plus propice à la supériorité aérienne.
Si le pays possède une façade maritime importante, il est surtout recouvert des premières franges de la forêt amazonienne qu’il partage avec les pays voisins Colombie et Brésil. Et même si les Etats-Unis viennent de réactiver la IVe flotte, la menace actuelle qui pèse sur le Venezuela vient davantage de la Colombie. Dans les années 80, c’étaient les infiltrations des FARC et autres milices gauchisantes, les mêmes maintenant soutenues par H. Chavez, qui doivent être protégées des incursions de l’armée colombienne et de son allié américain.
Ceci pourrait expliquer la robe des F-16, alors amenés à intervenir plus près du sol, dans un rôle de CAS, même si récemment encore les retours d’expérience montraient, particulièrement au-dessus des déserts africains, que les appareils en livrée désertique restaient étonnamment plus visibles que ceux en livrée de supériorité aérienne…

Typiquement, l'Inde aurait pu tout à fait constituer un unique exemple dans ce dossier, tant sa force aérienne se fournit dans tous les camps pour bien marquer qu'elle n'appartient à aucun (c'est Nehru, alors Premier Ministre indien, qui avait inventé l'expression « non-alignés » en 1954).
Le monde a changé en trente ans et l'arsenal aérien de certains pays en attestent, quand bien même les raisons invoquées diffèrent d'un pays à l'autre... L'URSS profitait alors à la fois d'un vaste marché intérieur et d'un marché captif pour assurer le maintien de ses chaînes de productions aéronautiques. Aujourd'hui, à l'instar de la Pologne, certains de ces pays satellites ont choisi de tourner le dos à la Russie comme la Hongrie ou la République tchèque qui se sont équipés de Gripen Suédois. D'autres pays, ont choisi tardivement du matériel russe (comme la Malaisie, avec des MiG-29 dans les années 90, puis des Su-27). Les raisons de ces choix sont tout autant historiques (en Europe de l'est) qu'économiques (divers pays africains notamment) ou restent encore politiques (le Venezuela, la Chine...).