photo courtesy Stephen Kilvington • www.airliners.net
À sa création en 1949, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) regroupe des pays sortis vainqueurs du second conflit mondial, mais dont les forces armées et notamment aériennes sont à reconstruire, à l’exception des États-Unis et de l’Angleterre. Ce sont d’ailleurs les reliquats des équipements fournis au pas de charge dans les derniers mois de la guerre qui composent dans un premier temps l’arsenal des armées de l’Air concernées. Mais très vite, du matériel plus récent apparaît, fourni par les deux pays encore capables de le faire : Angleterre et surtout États-Unis. On retrouve ainsi des T-33, F-84 et 86, des F-100, des Vampire et autres Hunter...
En temps que force unifiée, aux procédures standardisées, l’Alliance atlantique représente un marché potentiel important pour les fournisseurs d’appareils de combat. Il est tentant pour nombre de ses pays membres de suivre un mouvement général concernant leurs équipements, d’abord en choisissant du matériel éprouvé par d’autres et ainsi limiter le risque d’erreur dans le choix dudit matériel, ensuite de s’assurer une parfaite intégration dans le corpus des procédures mises en place par l’OTAN.
Si on retrouve souvent les mêmes appareils dans les diverses armées de l’Air de l’OTAN, quand il s’agit des livrées, chaque pays se distingue, l’ensemble proposant au final une variété intéressante, en regroupant des pays comme le Canada ou la Norvège d’un côté et à l’opposé la Turquie en passant par l’Europe occidentale et centrale.
Peu apprécié dans les rangs de l’US Air Force, la carrière du Lockheed F-104 Starfighter s’annonce aussi météoritique que d’autres appareils produits dans le foisonnement des années 1950. Une large partie de la commande initiale américaine est d’ailleurs annulée, limitant le nombre de F-104 finalement entrés en service à moins de 300 toutes versions confondues. D’ailleurs, le chasseur finit très vite dans les rangs de l’Air National Guard, au bout d’un an pour les F-104A...
Le coup de maître qui sauva le F-104 se produisit en 1958 avec la victoire remportée face notamment au Mirage III, au Lightning anglais, au Draken suédois et divers autres appareils américains comme les F-102, F-106 et autre F-8 dans le cadre d’un important contrat d’équipement de la Luftwaffe renaissante grâce à une nouvelle version multirôle : le F-104G et ses dérivés RF-104G et TF-104G dont l’arsenal allemand devait finalement compter plus de 900 exemplaires.
Avec le soutien des Military Assistance Programs (MAP), cette première commande en initia d’autres parmi les membres de l’OTAN. Il ne s’agit pas encore d’un contrat du siècle pour Lockheed, car si plusieurs commandes sont soutenues par les subsides américaines, chaque contrat a été négocié séparément. Au cours des années 1960, au sein des dix pays de l’Alliance atlantique équipés de Starfighter - qui en compte alors quinze, mais l’Islande n’a pas d’armée de l’Air -, sept l’ont acquis à la suite de la République fédérale d’Allemagne (RFA) : Belgique, Danemark , Grèce, Italie, Norvège, Pays-Bas et Turquie, auxquels s’ajoutent donc le Canada et bien sûr les États-Unis. Les autres clients européens - et pas seulement au sein de l’OTAN, comme l’Espagne - ont profité des accords de licence obtenus et qui permettent la fabrication en Europe du F-104, en Italie, en Belgique et en Allemagne.
Dans le contexte de la fin des années 1950 et du début des années 60, Les premiers Starfighter à entrer en service dans les différentes forces aériennes de l’Alliance atlantique sont dans l’air du temps en termes de couleurs : ils n’en arborent aucune. Les appareils sont nus et brillants. Par la suite, la doctrine change et les couleurs réapparaissent. Le F-104 n’échappe donc pas à la nouvelle règle.
• Les Allemands lui appliquent plusieurs livrées : d’abord Norm 62, façon Centre Europe en deux tons de vert olive et de gris-bleu foncé en extrados, puis Norm 83 un schéma de camouflage intégral en deux tons de vert et un ton de gris très foncé. La Marineflieger choisit, pour sa part, de supprimer la teinte de vert de Norm 62, ainsi devenu Norm 76, composé de la seule teinte de gris-bleu foncé en extrados et gris clair en intrados. Produits par Fokker, comme une partie des exemplaires allemands, les Starfighter néerlandais arborent également la livrée Norm 62.
• Les Danois optent pour un vert olive intégral, également appliqué sur leurs J-35 Draken. Une couleur très proche se retrouve chez les Norvégiens mais avec un intrados gris clair.
• Les Belges optèrent pour une livrée très proche de la SEA américaine - visible, elle chez les Grecs et les Turcs - où apparemment un des deux tons de vert (le FS 34102) a été modifié.
• Les Italiens choisirent une livrée Centre Europe en deux tons de vert foncé et de gris-bleu foncé en extrados et aluminium naturel conservé en intrados avant de passer à un gris FS 36280.
• Les Turcs, récupérant avec le temps, nombre de Starfighter déclassés par les autres pays de l’OTAN, comme l’Allemagne (170 appareils), les Pays-Bas (53 dont 22 RF-104) ou encore le Canada (52 CF-104), se sont le plus souvent contentés de remplacer les seuls insignes de nationalité. Ainsi, les Norm 62, 83 - et les stencils allemands les accompagnant et autres deux tons gris-bleu et vert d’origine canadienne ont côtoyé la livrée SEA arborée originellement par les F-104G commandés neufs par la Türk Hava Kuvvetleri, celle des quelques Starfighter espagnols (9 monoplaces et 2 biplaces) et la livrée très proche de quelques appareils belges (18 appareils)... La version italienne F-104S également acquise directement auprès d’Aeritalia, a été fournie recouverte de la livrée en gris-bleu et vert retenue pour l'Aeronautica Militare Italiana, à l'image des Starfighter néerlandais livrés avec le Norm 62 de la Luftwaffe.
Les livrées du F-104 Starfighter dans l'OTAN | ||||
---|---|---|---|---|
Désignation | Extrados | Intrados | ||
Luftwaffe | ||||
Norm 62 | RAL 7012 | RAL 6014 | RAL 7001 ou alu | |
Norm 83 | RAL 6003 | FS 34079 | RAL 7021 | |
Norm 76 | RAL 7012 | RAL 7035 ou alu | ||
Force aérienne belge | ||||
FS 20219 / 20227 ? | FS 24079 | FS 24097 ? | FS 26622 | |
Royal Canadian Air Force | ||||
Green 503-301 | Grey 501-302a/b | Grey 101-327 | ||
Green 503-120 | ||||
Green 503-322 | ||||
Flyvevåbnet (Danemark) | ||||
FS 34079 | ||||
Polemiki Aeroporia | ||||
South East Asia | FS 30219 | FS 34079 | FS 34102 | FS 36622 |
Aeronautica Militare Italiana | ||||
Verde Scuro FS 34086 | Grigio Mare Scuro FS 36152 | Alu | ||
Grigio Cielo FS 36280 | ||||
Luftforsvaret (Norvège) | ||||
Field Olive Green | Light Field Gray | |||
Dutch Koninklijke Luchtmacht (Pays-Bas) | ||||
Norm 62 | RAL 7012 | RAL 6014 | RAL 7001 ou alu | |
Türk Hava Kuvvetleri | ||||
South East Asia | FS 30219 | FS 34079 | FS 34102 | FS 36622 |
On constate que la livrée la plus largement retenue est très certainement un héritage direct de la livrée Dark Green/ Ocean Grey des Spitfire durant la Seconde Guerre mondiale, que l'on pourrait désigner comme « Centre Europe » avec deux tons de gris foncé et de vert en extrados et le cas échéant un gris clair en intrados. Pour le seul F-104, elle est appliquée sous différentes formes en Allemagne et aux Pays-Bas, en Italie et sur les Starfighters canadiens. Mais on la retrouve également en Grande-Bretagne sur les Lightning, puis sur les Harrier ou les Tornado – aussi bien dans la RAF que dans l'Aeronautica Militare Italiana. En France, une autre déclinaison est portée par les Mirage III, Mirage IV, Mirage F1CT et CR et encore aujourd'hui sur les Mirage 2000N et D, en version intégrale – sans ton de gris en intrados pour le dernier. L'US Air Force en connaît également une version intégrale en trois tons cette fois, avec deux tons de vert FS 34092 et FS 34102 et un ton de gris foncé FS 36081 ou 36118, connue sous le nom de « Europ One », tandis que le flanc sud de l'Alliance – Espagne, Portugal, Grèce et Turquie – lui préfère la livrée SEA, que ce soit sur les A-7P portugais, les F-4 et les F-104 pour les autres.
Comment ce chasseur à la carrière américaine anecdotique avait-il pu connaître un tel destin international ? La mise au jour, au milieu des années 1970, de vastes pratiques de corruption institutionnelle de la part de Lockheed depuis la fin des années 1950 aussi bien dans les domaines militaire que civil vint pour certains, éclairer d’un jour nouveau l’obtention opportune du contrat allemand dès 1958 et les autres commandes qui s’en suivirent au sein des pays membres de l’OTAN.
Couverte de dettes à la fin des années 60, la société Lockheed fut sauvé par le gouvernement américain en 1971 sous la forme d’un prêt. La commission chargée de surveiller cette opération mit au jour nombre de pots-de-vin, versés depuis la fin des années 1950, à différentes personnalités ou des partis politiques pour que leur gouvernement choisisse les appareils Lockheed - dont le F-104 Starfighter - préféren-tiellement à tout autre appareil.
Cela concernait la RFA, l’Italie, les Pays-Bas et surtout le Japon. Le total des sommes ainsi distribuées s’élevant à plus de vingt-deux millions de dollars.
Le cas allemand, qui pourtant est à l’origine de tous les autres contrats, est le moins étayé, mais en Italie, le parti démocrate chrétien, alors aux affaires, aurait été soutenu financièrement contre l’achat de C-130. Le prince Bernhard, prince consort des Pays-Bas, aurait touché plus d’un millions de dollars pour favoriser l’achat du F-104 par le biais de son poste d’inspecteur général des forces armées.
Le cas japonais est plus sérieux, car Lockheed est passé par l’intermé-diaire d’un parrain de la mafia locale, Yoshio Kodama, pour profiter de son entregent auprès de diverses person-nalités du PLD (le parti libérale démo-
crate, au pouvoir de manière quasi continue depuis 1951). Lockheed put ainsi vendre des F-104 à la JASDF et des L-1011 Tristar à la All Nippon Airways.
Ce quasi monopole du Starfighter dans l’OTAN a joué un rôle essentiel dans ce qui a été considéré par ses contemporains comme le marché du siècle. Car à terme, la logique de ce large marché consista à remplacer la flotte de F-104.
En 1973, la Belgique est sur le point de passer commande à Dassault pour la fourniture de Mirage F1 en remplacement de ses seuls Starfighter. Mais survient alors un changement de gouvernement prématuré qui repousse la signature du contrat. Ce temps de latence permet à l’administration américaine de réagir pour entrer dans le marché. À travers l’OTAN, d’autres pays, eux aussi équipés de Starfighter pourraient être sur le point de les remplacer, ce qui constituerait poten-tiellement une commande importante. Usant du poids de l’Alliance atlantique, les Américains parviennent alors à transformer la commande belge en un appel d’offre plus large regroupant quatre pays qui présentent les mêmes besoins simultanément : la Belgique, donc, les Pays-Bas, la Norvège et le Danemark, soit un volume total de 348 appareils.
Une compétition est donc lancée qui oblige les Américains à accélérer leurs programmes en cours et à forcer la main de l’US Air force : en l’état aucun appareil américain ne correspond au cahier des charges. Le programme démonstrateur Light Weight Fighter (LWF) devient l’Air Combat Fighter (ACF) qui oppose les prototypes YF-16 de General Dynamics et YF-17 de Northrop alors qu’à ce moment-là , aucun des deux n’avait même effectué son vol virginal. Le vainqueur, une fois obtenu le blanc-seing de l’US Air Force avait toutes les chances de l’emporter en Europe. Les adversaires des deux appareils américains sont notamment le Mirage F1E (pour Europe) équipé du réacteur M53 (futur propulseur du Mirage 2000) et le Saab Viggen.
Et le F-16 remporta l’ACF et donc le « marché du siècle ». Bien que ne regroupant que quatre pays de l’Alliance atlantique, ce contrat initial constitua pour le Fighting Falcon une véritable porte d’entrée sur le marché du remplacement des F-104 dans nombre d’autres armées de l’air. Jusqu’au début des années 2000, sur les dix pays membres de l’OTAN qui avaient choisi le F-104 Starfighter, huit s’équipèrent ensuite de F-16. Seuls lui échappèrent, le Canada qui lui préféra le perdant de l’ACF, le YF-17, devenu le F/A-18 Hornet, une fois versé dans l’US Navy et l’Allemagne, pourtant à l’origine de l’implantation du F-104 en Europe, qui opta pour des partenariats européens avec le Tornado puis l’Eurofighter. L’Espagne, entrée plus tardivement dans l’OTAN mais alors elle aussi équipée de F-104, choisit également le F/A-18 puis enfin l’Eurofighter.
L’époque ayant changé et le gris commençant à devenir la norme dans le domaine du camouflage aérien, le F-16 offrit dès le départ bien moins de diversité que son devancier. Aucun des pays s’étant portés acquéreurs du petit chasseur de General Dynamics - devenu depuis Lockheed-Martin, n’y voyez là aucune allusion de ma part au cas précédent... - ne s’est jamais éloigné de la livrée Hill puis Hill II en trois puis deux tons de gris. La Norvège a cependant choisi une livrée encore plus sobre avec une unique teinte de gris recouvrant intégralement ses F-16. La Grèce, souvent assez prompt à s’inspirer des livrées des autres pays choisit sa livrée Ghost à partir de celle appliquée sur les F-16N des unités Aggressor de l’US Navy. Cette propension est particulièrement visible sur ses F-4E d’abord en livrée SEA puis en Aegean Blue, inspirée de la livrée bleu D.A. de ses Mirage F1 pour finalement reprendre la livrée Ghost appliquée à ses F-16.
Livrée F-16C/D – Pologne | ||
---|---|---|
FS 36375 | FS 36270 |
Entrée plus récemment dans l’Alliance atlantique, la Pologne s’est également équipée de F-16, dont la livrée n’est pas une déclination de Hill ou Hill II, mais reste tout de même en nuances de gris dans une disposition proche de celle visible sur les F-16 chiliens. D’autres clients plus récents comme l’Italie ou le Portugal, ayant reçu en fait, non des appareils neufs mais issus des rangs de l’US Air Force leur ont conservé leur livrée Hill II. Il est intéressant de noter que l’Italie ne faisait pas partie du marché du siècle, mais a choisi le F-16 pour remplacer elle aussi ses F-104S ASA (un standard développé localement dans les années 1980) pour pallier le retard du programme Eurofighter.
Ce dossier aurait pu tout aussi bien évoquer un autre marché du siècle, avec la clientèle plus captive encore de l'Europe orientale alors aux mains de l'Union soviétique tout au long de la guerre froide. On se rend compte que plus que tout autre type de matériel militaire, l'arme aérienne a été un outil hégémonique pour les pays leader des deux grands blocs : si l'ensemble des forces aériennes des pays membres du pacte de Varsovie ont été largement équipées d'appareils d'origine soviétiques, force est de constater qu'il en fut de même pour les pays appartenant de l'OTAN, qui se sont fournis essentiellement auprès de l'industrie américaine, à l'exception de la France et la Grande-Bretagne.
Pendant que l'on retrouvait les MiG-21 ou les Su-20/22 à l'est du Rideau de Fer et que le MiG-29 était sur le point de devenir la nouvelle norme, les cieux d'Europe occidentale étaient sillonnés par les F-104, F-4 et autres F-16. Le bloc soviétique s'est effondré, le pacte de Varsovie démantelé, la guerre froide est terminée, mais l'enjeu de la domination aéronautique continue... à l'ouest !
Au début des années 2000, Les Etats-Unis voulurent reproduire les succès obtenus avec le F-104 puis le F-16 avec le futur F-35 – de Lockheed-Martin... toujours dans les bons coups... – qui comme son devancier était alors encore en cours de développement. Ils voulurent même aller plus loin en tentant d’éviter de revoir fleurir des compétiteurs locaux comme le Tornado ou l’Eurofighter : ils proposèrent aux pays intéressés par le F-35 - Royaume-Uni, Canada, Italie, Danemark, Pays-Bas, Norvège et Turquie, pour ce qui concerne les pays membres de l’Alliance atlantique - de participer à son coût de développement. Plus d’une décennie plus tard, l’idée ne paraît peut-être plus aussi pertinente...